“J’enseigne l’histoire et la géographie à l’institut Fénelon depuis 2001 et suis en charge de 4 classes de 4ième et de 3 classes de 5ième. Mes élèves ont en grande majorité un projet de réussite et un rapport positif à l’institution scolaire.
Marika, tu m’as donné à voir deux séances de travail en classe de 5ème. Ces séances n’étaient pas ou très peu en “frontal” avec les élèves, les élèves parlaient entre eux, travaillaient ensemble par “groupe de table”, peux-tu nous en dire plus sur ce dispositif ?
La classe est en effet disposée en ilots de quatre ou cinq positionnés de manière à garder une vision confortable du tableau. La composition des ilots est avant tout réalisée par affinité selon un cahier des charges que je donne en début de période : dans la dernière période du troisième trimestre, j’ai par exemple demandé aux élèves de se placer par affinité mais par niveau de maîtrise hétérogène. Quand il y a besoin, je régule la composition des groupes.
Cette disposition me permet de circuler aisément et de mettre régulièrement en œuvre des activités de coopération, de mutualisation et de confrontation.
Mes séances de cours sont souvent l’occasion d’alterner dans un ordre varié des temps de travail individuel, en binôme ou en ilot. La communication, l’échange, le partage et l’entraide sont les maîtres mots de ces activités de groupe.
Quelles sont les raisons de ces choix pédagogiques ?
J’ai, comme beaucoup d’autres enseignants, longtemps travaillé en cours dialogué et en ai mesuré les limites. Le nombre d’élèves impliqués était trop mince à mon goût, beaucoup d’autres s’installaient dans la passivité. Les élèves timides, fragiles avaient du mal à répondre à mes sollicitations devant la classe entière. Lors des activités, le dispositif frontal rendait complexe voire impossible l’accompagnement, la circulation dans la salle de classe. Je recherchais donc un dispositif qui me permette de mettre tous les élèves en activité et de les accompagner plus facilement et qui soit aussi l’occasion de valoriser leur implication en classe.
En consultant des sites pédagogiques, j’ai découvert l’ouvrage de Marie Rivoire, Travailler en îlots bonifiés. Après une lecture attentive, je me suis lancée. Cela remonte à trois ans. J’ai, au début, adopté son dispositif de manière complète mais certains points ne me convenaient pas, notamment la mise en compétition des ilots. Peu à peu, j’ai défini mon propre modèle de fonctionnement.
Une séance type est aujourd’hui constituée ainsi : je présente les compétences qui vont être travaillées, les critères de réussite. Un élève reformule la consigne, la méthode. Suit un temps de travail individuel indispensable à la réussite de chacun ; puis un temps de mise en commun et d’élaboration collective. Les élèves se consultent dans le but de compléter leurs idées, de s’apporter de l’aide, des conseils, de se corriger. Durant ce temps, je circule, je réponds aux sollicitations, j’accompagne le travail. Au terme de la tâche, j’évalue la maîtrise de la compétence et je donne éventuellement un temps pour remédier aux manques. Ainsi, les élèves savent s’ils « ont été capables de décrire un document iconographique » ou s’ils « ont été capables de confronter plusieurs documents pour répondre à une question » par exemple. Cette évaluation est une « bonification ». Au bout de 6 bonifications, j’enregistre la note. Chaque table avance donc à son rythme, avec plus ou moins d’accompagnement et est valorisé pour son travail en classe.
Le processus est parfois inversé : le temps de travail est d’abord collectif, la production individuelle.
Les tâches données aux élèves sont souvent organisées en pédagogie coopérative c’est-à-dire que les 8 ilots sont répartis en 3 ou 4 tâches complémentaires. Dans le dernier quart d’heure de la séance, quelques ilots font une restitution de leur travail à la classe entière. Là encore, les élèves peuvent être sollicités pour évaluer le travail de leurs camarades : dans ce cas, je demande à chacun de prendre connaissance de l’ensemble des documents proposés, un élève rappelle la consigne, les critères de réussite et après la présentation du travail, je leur laisse la parole. Cette activité offre une nouvelle entrée dans la compétence travaillée ; elle est souvent l’occasion d’une consolidation de sa maîtrise.
A partir de ce travail de groupe, en tâches complémentaires ou non, on constitue la trace écrite collective, je pose les notions et le vocabulaire correspondants au sujet travaillé. Cette trace écrite peut prendre plusieurs formes : une carte heuristique, un schéma, un tableau, un texte…
Le dispositif en ilots m’a également permis d’investir régulièrement le numérique par le biais de tablettes et le dispositif en classe inversée.
Peux-tu partager ton “évaluation” de ce mode de fonctionnement en ilots bonifiés : ce qui te satisfait, ce que tu voudrais améliorer ou modifier ?
Ce dispositif engage les élèves à fournir un travail efficace. L’ilot est un espace où chacun peut s’exprimer en confiance. Il permet, à mon sens, de développer de nombreuses compétences correspondant aux attentes du socle commun et également des capacités attendues dans le monde du travail ou dans la vie sociale de tous les jours. Les élèves sont amenés à s’impliquer, se positionner, donner leur avis, prendre des décisions. Il faut également qu’ils s’organisent, qu’ils soient méthodiques pour ne pas pénaliser le travail d’équipe. Ils doivent faire preuve d’initiative, d’autonomie. Et pour beaucoup, c’est aussi un cadre propice à l’effort : fini le temps où l’on comptait sur les camarades moteurs pour lever la main, répondre pendant que la grande majorité attendait que ça se passe ! Il leur faut aussi gérer positivement leur énergie pour qu’elle soit utile au groupe : les élèves qui ont tendance à s’agiter, sont en partie régulés par leurs camarades.
Pour ma part, je suis enfin disponible ! Je peux observer le travail de chacun, accompagner les élèves qui ont le plus besoin d’aide. Il est bien plus commode de circuler au milieu de 7 ou 8 ilots pour offrir un conseil individuel ou pour un ilot complet, ou pour la classe entière selon les besoins du moment. Ce dispositif est aussi un cadre adéquat pour mettre en œuvre une pédagogie différenciée en organisant les ilots par niveau de maîtrise ou en différenciant les rôles au sein des ilots.
Bien sûr, il engage un travail conséquent de préparation, de scénarisation de chaque séance pour être efficace et une bonne maîtrise du temps. Il suppose l’adaptation au rythme de chaque groupe, la variation du discours et des attentes… Ce dispositif génère aussi parfois du bruit, des bavardages et des tensions au sein des groupes. Le professeur a un rôle de médiateur, de régulateur parfois. Pour signifier à un élève qu’il ne respecte pas les conditions de travail fixées, et après lui avoir rappelé plusieurs fois, j’utilise les « malus », c’est-à-dire qu’il perd un point de bonification. Les malus sont toujours individuels. Ils me semblent indispensables car tout ne peut être donné à la charge du groupe : en posant un malus, le professeur rappelle clairement les limites, les règles du « vivre ensemble » et d’un travail efficace.
Il est important aussi de varier le cadre donné aux activités : tout ne peut pas être fait en groupe. La succession des cadres : individuel, en binôme, puis en ilots offrent de belles occasions de confrontation, d’argumentation. Cependant, le travail individuel est nécessaire à l’appropriation personnelle des compétences.
Enfin, ce dispositif impose souvent la mise en œuvre de plusieurs sujets d’évaluation pour parer aux facilités de communication de la disposition de la classe.
As-tu pu constater des changements de posture, de comportements chez les élèves entre “le cours magistral” et cette pédagogie en ilots ?
Oui, les élèves sont réellement au travail, dans les activités. Les élèves moteurs dans un dispositif traditionnel deviennent les relais du professeur et lors des temps de mutualisation, de coopération et de confrontation, renforcent encore leur niveau de maîtrise. Leurs compétences bénéficient à tous. Le cadre de petits groupes de 4 personnes offre aux élèves peu confiants de nombreuses occasions de s’exprimer, de renforcer leurs compétences notamment langagières car les temps de parole sont démultipliés. Les élèves passifs, peu impliqués peuvent difficilement rester en dehors du travail de groupe. Ils sont obligés de fournir un travail supérieur à celui investi dans un dispositif traditionnel sans quoi ils se retrouvent dans une posture inconfortable par rapport à leurs camarades.
Les Elèves à Besoins Éducatifs Particuliers ou les élèves de l’ULIS collège que tu inclus profitent-ils de cette démarche ? Constates-tu une coopération et une entraide dans les différents groupes ?
Les élèves à besoins éducatifs particuliers qui ont un trouble du type dyslexie/, dysorthographie ont de nombreuses occasions d’oraliser leur réflexion et peuvent s’appuyer sur les membres de leur groupe pour la formulation par écrit. Leurs camarades relisent souvent leur production, la complète. Quand l’accès à la consigne est complexe, les camarades sont aussi des relais du professeur. Par ailleurs, la disposition me permet d’être plus attentive à leurs difficultés, de leur venir en aide sans que toute la classe en soit témoin et cette discrétion est positive du point de vue de la confiance en soi.
Il en va de même pour les élèves ULIS inclus dans mes classes. Au sein de l’îlot, après un temps d’adaptation, l’élève ULIS ose s’exprimer, confronter son point de vue à celui de ses camarades et bénéficie des bienfaits de la coopération et de la mutualisation. Pour lui aussi, je suis plus disponible et l’aide que je lui apporte bénéficie à tous les membres de son groupe. Je peux aussi lui donner des tâches différenciées ou des aides ponctuelles comme l’accès à un lexique prédéfini pour réaliser la tâche demandée.
Aux termes de ces années de pratique du dispositif en îlots bonifiés, il m’apparait difficile de faire un retour « en arrière » et de me remettre à travailler en frontal. Bien sûr les îlots ne remédient pas à tout, mais ils sont un bon moyen de mettre tous les élèves en situation d’apprentissage et donc de réussite. Ils sont aussi une porte ouverte aux média numériques et à d’autres dispositifs comme la classe inversée. La classe n’est plus un auditoire passif du professeur mais un groupe au travail ordonné, coordonné par le professeur.”
Merci Marika pour ce témoignage clair, et complet qui témoigne bien de ta passion d’être un enseignant “passeur” !
Pour aller plus loin encore, vous pouvez télécharger et lire travailler-en-ilots-bonifies
ou en encore lire cet article très intéressant des Cahiers Pédagogiques, ici.
Ne vaut il pas mieux du bruit pour la réflexion et l’échange plutôt que du chahut par manque de motivation et d’intérêt ??
bravo et merci pour ce témoignage?
veronique Reynier
enseignante spé
Merci Anne et bien sûr Marika pour cette superbe expérience, très concrète. Ce paramètre étant pour moi l’un des principaux obstacles à la mise en place ou au moins à sa tentative. Et si l’on “forwarder” cet article à plus de monde?
Christine Guichard, enseignante ressource
Merci Christine pour ce retour sympa. C’est vrai que l’aspect “concret” ressort bien et que du coup on comprend mieux comment se lancer. En ce qui concerne la diffusion de cet article, tous les abonnés (et ils sont plus d’une centaine !! eh oui !) le reçoivent. Rien ne t’empêche (au contraire, même) de copier le lien et de l’envoyer à tes collègues, c’est aussi le “rôle” de l’enseignant ressource de diffuser autour de soi les infos et articles qui lui paraissent intéressants à faire connaitre. Amitiés. Anne Valentin, coordonnatrice du projet diocésain “Accueillir les différences”.
Félicitations à Marika pour tout ce travail.
Il est très motivant pour les collègues de voir que les méthodologies “théoriques” sont réellement utilisables et que leur mise en pratique peut être un franc succès. Cela encourage à essayer…
Merci pour ce bel exemple.
Et connais-tu ça, Virginie ?
http://flipmusiclab.fr/une-application-du-travail-en-ilots-par-roles-slam-medieval/