Je vais tenter d’être objective… Difficile quand on connait et qu’on apprécie l’auteure…
Ce livre est une merveille de clarté et d’intégrité. Aïe, ça commence mal pour l’objectivité me direz-vous … Non, vraiment, j’ai rarement lu un livre aussi complet dans ses postulats. L’approche est double, dit la 4ème de couverture, il me semble qu’elle est triple. Pascale Toscani fait des liens entre une approche psychologique, cognitive (à l’aide des neurosciences) et je rajouterai pédagogique et éducative.
Elle nous fait l’amitié de venir à notre rencontre cette semaine en répondant à mes questions. Vous trouverez également en fin d’entretien une vidéo réalisée par Hatier à l’occasion de la sortie de l’ouvrage. Belle illustration de ce que vous trouverez en vous plongeant dans “Comprendre le cerveau de son enfant”.
Bonne découverte ….

Pascale Toscani est docteure en psychologie cognitive, responsable du GRENE.MONDE, chercheure associée au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Éducation et Formation (LIDERF), à l’Université de Montpellier.

Pascale, vos précédents ouvrages étaient plutôt destinés aux enseignants, notamment
« Les neurosciences au cœur de la classe », accompagné d’un livret pour les élèves.

 

 

 

 

 

 

Avec ce nouveau livre, vous ciblez les parents, pouvez-vous nous en donner les raisons ?

Les recherches concernant le fonctionnement du cerveau ne doivent pas être destinées qu’aux neuroscientifiques. C’est un sujet qui passionne évidemment les enseignants qui veulent comprendre comment les élèves apprennent et surtout comprendre pourquoi, parfois, ils ont du mal à apprendre. Mais cela intéresse également beaucoup les parents. Aujourd’hui, la psychologie de l’enfant est un domaine qu’ils connaissent. Il faut les informer sur ce nouveau champ de recherche que sont les neurosciences cognitives. Les parents, tout comme les enseignants, souhaitent aussi comprendre comment leur enfant apprend. En outre, ce partage d’informations concernant le développement du cerveau peut engager un dialogue fructueux avec les enseignants, d’autant plus que cet ouvrage ne traite pas que de l’apprentissage, mais de tout le développement cognitif de l’enfant.

 

Comme vous le dites au début de votre ouvrage mais aussi en conclusion de votre très belle conférence donnée pour la Mission Laïque française en avril dernier, les enfants ont un avenir imprévisible. Pourtant certains aspects des neurosciences cognitives peuvent donner l’impression que tout désormais est possible. Que les apprentissages seront «planifiés», maitrisés, contrôlés, voire codifiés…
Des pédagogues comme Philippe Meirieu s’en insurgent et s’en émeuvent, comment répondez-vous à ces inquiétudes ?

Je crois au contraire que les neurosciences cognitives ne figent rien. Elles n’ont pas pour rôle d’être prescriptives en matière d’enseignement, mais descriptives en matière d’apprentissage. On peut comprendre certaines résistances nourries par une peur de l’emprise des neurosciences sur l’éducation. Mais résister à la connaissance du fonctionnement du cerveau dans l’apprentissage  ressemble parfois à de l’obscurantisme. Personne ne remettrait en cause la recherche scientifique dans le domaine médical, y compris lorsqu’elle bouscule nos représentations du soin. Par exemple, lorsqu’il s’agit de réguler certaines pathologies comme la maladie de Parkinson, par le moyen de la stimulation cérébrale profonde, c’est-à-dire la mise en place d’électrodes dans le cerveau, personne ne s’insurge. Toutefois, tout ce qui concerne le cerveau génère des phantasmes incontrôlés, parfois incontrôlables… Les films de science-fiction y contribuent.

Dans le domaine des apprentissages, tout n’est pas possible grâce aux neurosciences cognitives, évidemment. Ça, c’est ce que l’on souhaite leur faire dire. Elles remettent en cause certaines certitudes théoriques qui méritent d’être repensées, grâce à ce que nous comprenons mieux du fonctionnement du cerveau. Modifier ses certitudes, ses représentations est bien compliqué pour les humains…
Mais les résistants ont un rôle fondamental : celui de réguler les passions qui sont tout autant incontrôlées qu’incontrôlables…

(Ndlr : Excellent ouvrage de ce grand Monsieur qu’est Philippe Meirieu…)

 

 

 

 

Dès le premier chapitre, vous déconstruisez 10 neuromythes afin de montrer (entre autres) que rien n’est jamais joué… Ces neuromythes ont la dent dure !
Quel impact ont-ils encore aujourd’hui ?

Enfermer les humains dans des catégories est toujours invalidant, réducteur. Edgar Morin nous a appris une chose fondamentale sur la complexité. Elle a mis à mal cette tendance exacerbée à vouloir catégoriser le monde, ce qui a pour conséquence de ne fournir qu’une représentation simplifiée du réel, pour ne pas dire mutilée. Les neuromythes sont le résultat d’une pensée qui simplifie. On fragmente pour simplifier ou pour fournir une explication à bon compte. Les médias participent largement à cette sur-simplification. Les neuromythes donnent l’illusion de la connaissance sur le cerveau humain, mais c’est de la connaissance Canada-dry. Les enseignants, comme les parents, doivent laisser les enfants être ce qu’ils sont, et pour cela, ils ont besoin d’être regardés sans enfermements dans des informations erronées.

« L’enfant et la nécessité d’un regard positif pour grandir » (page 67 de votre ouvrage). À cette phrase que je trouve importante d’avoir en tête dès lors que l’on a mission d’éducation, certains parents ou enseignants peuvent opposer : la rigueur, la règle, l’autorité et la nécessaire frustration pour grandir…
Que répondez-vous à ces interpellations ?

Bien sûr, le regard positif ne s’oppose ni à la rigueur, ni à la règle, évidemment pas à l’autorité et encore moins à la frustration.
Petit détour sur l’autorité et la frustration qui ont plutôt mauvaise réputation :
L’autorité rime avec confiance. Dans une situation d’éducation, l’autorité n’est pas une supériorité sur l’enfant, elle a fonction de le rassurer sur ce qui est possible et sur ce qui ne l’est pas. C’est une autorité de compétence, c’est un message transmis à l’enfant pour qu’il comprenne que l’adulte détient cette autorité pour le rassurer. Il n’y a rien de plus angoissant pour un enfant de comprendre qu’il n’y a pas de tuteur [c’est-à-dire, quelqu’un qui aide à tenir debout], pour avancer dans la vie. L’autorité est indispensable à l’enfant parce qu’il sait que le message parental est : « va, tu sais que tu vas devoir affronter des chemins difficiles, tu vas te confronter à du possible, de l’impossible, mais il s’agit de balises nécessaires pour la vie que tu vas mener en société ».

La frustration est tout aussi nécessaire, parce qu’elle apprend à l’enfant qu’il n’est pas tout puissant. Il y a des choses qu’il peut vouloir, et c’est très important, c’est ce que l’on appelle le désir, mais qu’il ne peut pas tout avoir. Sans frustration, les enfants ne pourraient pas apprendre à vivre ensemble,  c’est-à-dire accepter que ses désirs et ceux des autres sont interdépendants, et qu’en conséquent, parfois, il faut y renoncer.

Lorsque je parle de regard positif, je veux parler de la façon dont on va aider un enfant à grandir, c’est-à-dire, à ne jamais l’enfermer dans un regard négatif sur lui-même. Un enfant qui grandirait sans frustration, sans règle, sans autorité serait un enfant en danger. Les enfants ne sont pas des petits adultes, ils apprennent, tout comme les adultes d’ailleurs, de leurs difficultés, de leurs travers, mais ils ne sont pas toujours ce qu’ils donnent à voir d’eux-mêmes. Ils ont des ressources qui vont s’exprimer dans le temps. La vie est devant eux et ils se développeront tout au long de la vie, mais pour cela, ils ont besoin d’un regard inconditionnel sur leur développement !

 

Le chapitre 4 explore les fonctions du cerveau, les émotions, les fonctions exécutives, mais aussi l’importance de la coopération, et du jeu dans l’apprentissage. Vous illustrez à merveille cette nécessaire alliance entre « neurosciences cognitives » et « pratiques éducatives et pédagogiques ».
Pouvez-vous dévoiler un peu aux lectrices-teurs d’“Accueillir les Différences” ce que vous expliquez à propos du jeu et de son lien très fort avec l’apprentissage ?

Apprendre par le jeu développe en effet autant les fonctions cognitives que les fonctions sociales. Les pays du Nord de l’Europe l’ont compris depuis longtemps.
Lorsque l’enfant joue, il régule son fonctionnement cognitif : par exemple, si quelque chose ne marche pas dans l’organisation de sa construction de Lego, il essaiera autre chose…. Si un enfant joue avec un autre qui raisonne différemment de lui, il apprendra implicitement que d’autres pensent autrement… En jouant, l’enfant apprend aussi à avoir des intentions, à formuler des hypothèses qu’il va valider ou invalider. En d’autres termes, il apprend ! Dans les jeux de société, il apprend à attendre, à prendre la parole, à poser une parole devant les autre à perdre aussi. Les fonctions de la vie en société sont très présentes dans le jeu.

La dernière partie de « Comprendre le cerveau de son enfant » est consacrée aux conseils, ou plus exactement, je vous cite, […] aux conditions qui paraissent les plus favorables au développement cognitif harmonieux d’un enfant. Du sommeil, à l’alimentation, en passant par la gestion du stress, les écrans, la pratique du sport…

Ce n’est pas une « boîte à conseils » dites-vous, et pourtant, aujourd’hui, il apparaît clairement que certains enfants n’ont pas tous les atouts dans leurs mains. De nombreux enseignants s’inquiètent devant des enfants qui deviennent mutiques, des ados qui ne dorment pas assez, qui mangent peu ou pas, des enfants jeunes avec une estime de soi déjà fortement émoussée…
Quelles peuvent être les actions des enseignants ou plus largement de l’École, en partenariat avec les familles ?

Les parents ont besoin d’informations concernant les dangers que vous nommez, par exemple, le manque de sommeil, qui impactera toujours la mémoire ou le système attentionnel. Nous savons bien maintenant que la manière dont l’enfant ou l’adolescent est nourri aura des conséquences sur ses fonctions cognitives.
Le «conseil» est parfois mal accepté parce qu’il laisse entendre que certains savent et que d’autres ne savent pas, ou que certains ont les bonnes manières de faire et  d’autres pas. La culture familiale n’est pas la culture scolaire. Alors, comment engager le dialogue ?
Les réunions ont un caractère sans doute trop académique. Peut-être en invitant les parents à un repas-neurosciences pour partager leurs questions sans jamais juger, pour poser des questions, même si les enseignants n’ont pas les réponses, parce que quelque part, la réponse existe. Engager toute la communauté éducative à trouver les réponses, et se retrouver une seconde fois pour partager les résultats des recherches. Avancer ensemble, dans une démarche coopérative. Même les enfants pourraient y participer !

Après avoir longtemps hésité, j’ai quand même mis le dernier paragraphe…
Un p’tit chaudoudou,  pour l’estime de soi, ça fait pas de mal 😉

Je profite de la parole qui m’est donnée pour saluer les qualités du blog « Accueillir les Différences » : sa conjugaison entre l’ouverture et l’exigence intellectuelle, comme s’il offrait en même temps à ses lecteurs le voyage et la carte, c’est-à-dire la possibilité de naviguer sur des mers différentes et de bénéficier des repères pour ne pas se perdre.

Pascale Toscani