Cette 5ème conférence de consensus organisée par le CNESCO et l’Ifé suivie par 250 personnes en présentiel, et un millier en streaming fut passionnante. C’est le 11 avril prochain que vous pourrez retrouver sur le site du CNESCO toutes les conférences de ces deux jours, ainsi que les recommandations que le jury aura rédigées. En attendant, je vous invite à partager avec moi “mes coups de coeur” et les pistes déjà évoquées par différents intervenants, allez, en route pour un premier épisode !

Nathalie Mons, Directrice du CNESCO, nous accueille avec son dynamisme et son sourire chaleureux. Dans une courte introduction, elle rappellera combien le CNESCO et l’IFE sont attachés à cette interaction entre l’école et la recherche. Pour ma part, je suis convaincue que ce sont ces allers/retours, ces interactions, ces éclairages théoriques et ces retours du terrain qui construisent notre pédagogie d’aujourd’hui et de demain.

 

 

Sous la présidence de Michel Fayol et Catherine Brissaud, la 1ère journée s’ouvre sur quelques généralités sur l’écrit, l’évolution ou la baisse des performances notamment en orthographe, sans oublier les différentes injonctions des programmes de 2002, 2008, 2015   😕

 

 

 

Comme le rappelle Michel Fayol, l’écrit est une conquête récente de l’humanité.  Après plus d’un siècle d’instruction alphabétique, il subsiste un illettrisme réel qui reste aujourd’hui un objet d’étude et d’intervention. L’écrit est une pratique quotidienne dans certains métiers. Et à l’école, qu’en est-il ? Quelles fonctions occupe-t-il ? Quand et comment “fait-on” écrire les élèves ? Quel est le lien entre le lexique, la grammaire, l’orthographe et l’action de rédiger, de produire, de créer “de l’écrit” ? Ecrit-on dans toutes les disciplines ? Montre-t-on à nos élèves la spécificité de l’écrit dans ces différentes disciplines ? Les élèves écrivent-ils en dehors de l’école ? Et l’apport du numérique, nos élèves écrivent-ils, à l’école, en langage SMS ?
Les chercheurs présents se sont emparés de toutes ces questions et ont tenté (souvent avec brio et expertise) d’y répondre ou tout du moins de nous éclairer.

Sylvie Plane, Yves Reuter, et José Morais, respectivement des universités Paris-Sorbonne, Lille 3 et Bruxelles vont nous démontrer les enjeux autour de l’écriture à l’école et notamment combien elle est un apprentissage nécessaire et continu, doté d’une réelle importance sociale.
Un constat, que je trouve éclairant sur la pratique réflexive propre à l’écrit,  est posé par Sylvie Plane (elle a beaucoup écrit sur les nouvelles pratiques numériques qui brouillent les frontières entre l’écrit et l’oral). En effet, l’écrit “traditionnel” se déploie sous les yeux de celui ou celle qui est en train de produire, c’est là qu’il a une fonction réflexive. Les “outils électroniques” utilisés pour écrire font que le scripteur consulte de moins en moins son propre texte, cet écrit s’efface très rapidement, et il y a quasi-simultanéité entre rédaction et lecture, l’interaction est “intégrée” et ne permet pas la réflexion. Cet écrit rapide a perdu un certain nombre des propriétés de l’écrit lent et réflexif que requiert l’écriture manuscrite. Néanmoins, les jeunes scripteurs ont gagné en fluidité sur les outils numériques et savent ne pas faire d’amalgames entre écrits scolaires et SMS.
Yves Reuter,  quant à lui, pose les questions “qui bousculent” : “Les élèves sont démunis face à la complexité de l’écrit”. Qui le leur dit ?
et encore : “Les descriptions ne vont pas être rédigées de la même façon en français qu’en mathématiques, les répétitions horripilent le professeur de français, mais pas le prof de maths !” Fait-on travailler ces différences et ces similitudes aux élèves ? Et pour enfoncer encore un peu le clou (mais combien je lui donne raison !), Yves Reuter ajoute : “Qu’est-ce qui fait que l’école arrive à rendre les activités d’écriture déplaisantes ?” (légère houle dans la salle… quelques rires, et hochements approbateurs…).
José Morais (avec son point de vue de chercheur en psycholinguistique et neuroscience cognitive) va ajouter sa pierre à l’édifice en construction en invoquant l’importance de l’automaticité (celle-ci sera reprise plusieurs fois. En effet, avoir automatisé le geste grapho-moteur, le lexique, l’orthographe va libérer de l’espace cognitif pour penser et construire son propos). C’est lui qui va énoncer le mot de littératie, cher à nos amis du Québec (entre autre) et qui va développer sa théorie sur lettré et non lettré. Pour lui, lire, écrire, c’est être libre et participer activement à la vie sociale, économique, politique. Retrouvez-le ici pour une conférence d’une trentaine de minutes tout à fait intéressante.

Sylvie Plane rajoutera encore, et je prends ce propos comme une clé pour notre enseignement, que le passage par l’école permet la pratique réflexive, que l’école est là pour outiller intellectuellement, compenser les écarts, mettre en oeuvre des stratégies d’apprivoisement de l’écrit sans rejeter les pratiques sociales et que l’articulation du lire et de l’écrire est indispensable (“Ecrire, c’est lire deux fois”, dit une citation latine).
Ainsi, on distinguera l’écriture travaillée (écriture longue, lente, distanciée ; celle qui va nécessiter le brouillon, la révision, la réécriture puis la rédaction), l’écriture à fonction heuristique (celle qui permet de développer la pensée), l’écriture à partir des écrits disponibles (celle qui modélise, permet le plagiat, le “à la manière de…”).
José Morais précisera également combien l’écriture a besoin d’un cadre sécurisant, commettre des erreurs, c’est naturel, normal… et l’acceptation de celles-ci permet “l’écriture sécurisée”. Il rappelle également que la maîtrise orthographique contribue grandement à la compréhension et à la rédaction tout autant que l’aisance grapho-motrice (l’automatisation des tracés, entre autre) ; autrement dit, le “coût” de la graphomotricité entrave les performances orthographiques et rédactionnelles.

L’écriture pour penser et pour apprendre est réaffirmée dans les nouveaux programmes, nous dira Anne Vibert (Inspectrice Générale). Conséquences ?
– Extension de la question de l’écriture à l’ensemble des champs disciplinaires
– Intégration aux écrits de travail (voir ici, des propositions pratiques de Catherine Tauveron)
ecritsdetravailC3
– Utilisation de l’écrit pour réfléchir :

  • Ecrits de travail pour formuler des impressions de lecture, émettre des hypothèses, articuler des idées, hiérarchiser, lister…
  • Écrits de travail pour reformuler, produire des conclusions provisoires, des résumés…
  • Écrits réflexifs pour expliquer une démarche, justifier une réponse, argumenter.

➡ les_ecrits_intermediaires_nf-2 (un document intéressant pour constater la diversité des situations d’écriture, selon les disciplines)

Le défi est d’importance, Anne Vibert en fait une synthèse claire : Il va s’agir d’établir des rapports entre apprentissages linguistiques et apprentissage de l’écriture.
C’est l’intégration des apprentissages linguistiques et notamment orthographiques, à “l’écrire” sans renoncement à l’étude de la langue en tant que système qu’il nous faut, nous, enseignants concevoir. 

Bon, bon, je vous entends soupirer  😉 … Tout ça c’est bien joli, mais on s’y prend comment ?
Pour finir cet épisode 1 et pour ne pas que vous restiez sur votre faim, que vous ayez envie d’aller plus loin, seul(e) ou en équipe,  4 préconisations intéressantes (qui n’engagent que leur auteur) afin d’amener les élèves à produire des textes complexes. Elles seront proposées par Denis Alamargot, Université Est-Créteil, psychologie cognitive

 

💡 Privilégier la mise en œuvre coordonnée de l’ensemble des traitements (textuels, orthographiques, moteurs) avec des textes d’abord courts (de quelques lignes) mais impliquant toujours des contraintes (exigences) quant à la réalisation conceptuelle, linguistique, et graphomotrice. (aller vers une rédaction approchée, c’est-à-dire, observer le processus, passer d’une logique de performance (importance accordée très vite à la norme littéraire),  à une logique de compétence, où on laisse le temps à cette activité métalinguistique complexe de se construire)

💡 La production de formes élaborées et complexes notamment de typologies littéraires ne doit être que progressive ; un temps long doit être accordé pour permettre l’automatisation et pour que des stratégies se complexifient (à l’instar de l’orthographe approchée)

💡 L’entrée dans les apprentissages rédactionnels par les types de textes n’est pas la meilleure option, car elle impose un modèle de performance et limite l’exercice de gestion et de création des traitements.

💡 L’évaluation des processus, notamment par le bais de mesures du décours de l’activité (fluence, vitesse, pause) doit compléter l’évaluation de la production pour donner accès aux stratégies privilégiées de l’élève à un moment donné.

 

OUF ! Vous êtes allé(e)s jusqu’au bout ? Et moi aussi ! Savez-vous combien de fois j’ai relu mes notes, vérifié des infos, lu des articles, corrigé une phrase, un mot, un temps pour écrire ce premier épisode ? Heureusement que les tâches de “bas niveau” sont automatisées !… Pfff… écrire un texte long, c’est vraiment une tâche complexe !

Rendez-vous dans quelques jours pour un 2ème épisode… Nous y aborderons les questions de brouillon, d’orthographe et de grammaire … Sujets qui font souvent polémique dans la presse, dans les familles, mais aussi à l’Ecole !