Gaël Bournonville et Philippe Meirieu, tout d’abord un grand merci d’avoir accepté cet entretien croisé pour les lecteurs du blog “Accueillir les Différences”…
Au détour de mes recherches de ressources sur la Toile, veille pédagogique oblige, je suis “tombée” sur le numéro 0 de cette nouvelle revue … j’y ai lu le titre, “Appren-tissages”, puis votre nom, Philippe Meirieu, Je m’y suis plongée… et vous ai écrit….
Vous voilà “reparti” pour une nouvelle aventure “éditoriale” franco-belge cette fois-ci, avec Gaël Bournonville, à l’initiative de cette nouvelle revue.
ndlr : Philippe Meirieu dirige la collection “Pédagogie” chez ESF éditeur
Gaël, pouvez-vous nous raconter l’amont de cette création ?
G.B. : Oui ! C’est l’histoire d’une idée un peu folle. Les enseignants sont parfois individualistes. Je n’échappe pas à la règle. Après 18 années en classe (en terminales), j’ai ressenti le besoin et l’envie de découvrir ce qui se faisait ailleurs et autrement. D’une certaine manière, c’est la frustration et l’envie de changement qui m’ont poussé dans cette voie nouvelle. Je me suis donc lancé un défi : créer une belle revue sur l’éducation et les apprentissages pour les parents, les enseignants et toutes les personnes qui se sentent concernées par l’éducation au sens large. J’ai contacté Philippe Meirieu. Il était d’accord avec mon constat. Très vite, il est devenu actif dans ce projet. Son expérience, ses idées et son parcours sont devenus des atouts. Bien sûr, c’est une belle idée que de vouloir décloisonner les personnes et les pratiques, de promouvoir les savoirs et l’apprentissage tout au long de la vie et de participer à la revalorisation des acteurs de l’éducation ! C’est ce qui nous nourrit notre enthousiasme. Après, il me faut concilier la revue et mon temps plein comme enseignant et aussi rendre ce projet viable financièrement. C’est une aventure franco-belge à l’intersection de l’éducation et du journalisme !
“Apprentissages”, titre évocateur et en même temps suffisamment large pour y entrer de multiples façons… Quels seront vos axes prioritaires ? Qu’avez-vous envie de partager avec vos lecteurs ? Et d’ailleurs, qui “visez-vous” plus particulièrement ?
G.B. : Bonne question. Nous ne voulons pas nous positionner sur l’écume des vagues et suivre l’actualité jour après jour. Beaucoup de blogs consacrés à l’éducation le font très bien. Nous voulons prendre du recul. Notre regard se veut différent, indépendant, analytique, sociologique et artistique tout en privilégiant les regards croisés et les rencontres. Chaque numéro sera d’ailleurs accompagné lors de sa sortie d’une soirée-conférence.
Ce bel objet journalistique se veut sans parti pris, sans étiquette…et à côté des polémiques qui parfois font rage dans le milieu de l’éducation. Il y a plusieurs entrées dans la revue. Ainsi, les lecteurs pourront y découvrir des récits, des nouvelles inédites, des reportages-photos, des entretiens et les professionnels y trouveront des outils, des infographies, des analyses.
Philippe Meirieu, vous terminez votre article sur une “classe au Bhoutan”,, dans le numéro 0, par cette phrase : ” Nous sommes donc condamnés à l’inventivité. À l’invention, toujours plus hardie et rigoureuse à la fois, de «formes scolaires» capables d’incarner notre projet éducatif.” J’aime cette idée d’inventivité et de hardiesse pédagogiques alliée à la rigueur. Est-ce à dire que notre École d’aujourd’hui en manque ?
PM. : Oui, je trouve que nous sommes crispés sur une « forme scolaire » qui bloque largement toute initiative. Le modèle de l’ «enseignement simultané» imposé par Guizot reste extrêmement prégnant, avec son « idéal », à la fois impossible et inefficace : des classes de 24 élèves de même âge et de même niveau qui font tous la même chose en même temps. Comme nous restons, malgré tous nos efforts, accrochés à ce modèle, nous produisons une multitude d’effets pervers : l’externalisation de toute «différence», la séparation entre le travail d’enseignement (en classe) et le travail d’apprentissage (à la maison), la hiérarchisation des filières et leur fonctionnement en «raffinerie», le redoublement que l’on sait inefficace, l’abolition ou, au moins, la marginalisation de l’entraide entre élèves qui, non seulement à une fonction sociale, mais aussi une précieuse fonction de « prise de conscience »… La classe « homogène » est devenue un carcan où le temps est étroitement « administré » et où les apprentissages deviennent problématiques. S’il y a une leçon à retenir des pédagogues, de Makarenko à Montessori, de Freinet à la pédagogie institutionnelle, c’est que c’est l’espace qui doit être « construit » dans la classe, tandis que la gestion du temps doit être souple afin de permettre à chaque enfant de s’engager et de s’investir dans des activités d’apprentissages.
Et « construire l’espace », c’est inventer des dispositifs et des situations, mettre à disposition des ressources, stimuler et organiser des projets…
Un vrai travail d’inventivité collective pour notre institution, mais aussi de créativité pour chaque enseignant dans sa classe.
Quelques conseils à donner aux collègues enseignants qui nous lisent pour garder, retrouver, ou se lancer dans “ces formes scolaires” créatives, stimulantes et rigoureuses ?
PM. : Je leur conseillerai de toujours référer leurs « modalités » aux « finalités ». Que voulons-nous ? Aider les élèves à réfléchir et à penser, à surseoir à leurs impulsions et à élaborer des réponses nourries par la culture aux questions qu’ils se posent et que nous leur posons. Alors, apprenons à décélérer en classe :
💡 donnons du temps à tous nos élèves pour réfléchir et échanger quand on leur pose une question au lieu de prendre au vol la réponse d’un bon élève et de passer à la suite.
💡 Permettons-leur d’investir dans des activités sur la durée et d’améliorer leurs productions pas à pas, au lieu de « payer » un mauvais travail par une mauvaise note et d’en rester là.
💡 Demandons-leur de s’entraider systématiquement…
Bref, au lieu de raisonner en « reproduisant » des modalités routinières, réfléchissons toujours à ce que nous voulons vraiment pour nos élèves et inventons des modalités qui leur permettent d’y arriver.
L’article “Ishane, entre deux mondes”, itinéraire d’une jeune fille malentendante est à la fois émouvant et instructif. L’inclusion est possible dès lors que professionnalisme, implication et ténacité se conjuguent. Cette nouvelle revue “Appren-tissages” a-t-elle “vocation” d’être la voix, une voix de l’école inclusive ?
P.M. : « La voix », certainement pas. Elle n’y a aucune prétention à l’hégémonie. « Une voix », sans aucun doute. Ce qu’on appelle « l’école inclusive » est beaucoup plus en avance en Belgique qu’en France. Cette revue, née en Belgique, s’attachera à creuser encore plus ce sillon. Car « l’école inclusive » n’est pas simplement une formule, c’est un pari sur l’avenir, tout aussi essentiel que nécessaire : ne pas exclure l’altérité, sous toutes ses formes, mais faire de sa découverte patiente et de son intégration sereine une voie qui nous permette de « faire ensemble société ». C’est le choix d’une école exemplaire en matière de citoyenneté, une école qui ne se contente pas de l’enseigner mais la mette concrètement en pratique. Car toutes les études le prouvent : en matière éducative, les gens ne font jamais ce qu’on leur dit de faire, mais ce qu’on fait avec eux.
➡ Télécharger le numéro 0 : Apprentissages_0_loRES2
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J’ai lu ce numéro 0, j’ai été touchée par l’histoire d’Ihsane, et ai vraiment apprécié le tableau qui suit l’article. Il est extrait de l’excellent ouvrage :
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Nous nous éveillons au monde et aux autres, entre étonnement et compréhension, émerveillement et terreur, apprentissage et invention, découvrant la réalité et explorant l’imaginaire.
Merci!
Très intéressant